Qu’il gagne ou qu’il perde, le patron démange. A force d’assertions acerbes et lancinants reproches, c’est l’appellation de toute une classe qui vit peu à peu un glissement sémantique, d’apparence irréversible. Après la remise au goût du jour du bossnapping ces dernières années, 2016 été le lieu de luttes plus insidieuses, mais non moins efficaces.

Mercredi sur France Info, Jean-Claude Mailly, le patron – pardon, secrétaire général – de FO – était l’invité de Philippe Vandel dans l’émission Tout et son contraire. L’occasion de découvrir que ce dernier nourrissait un dédain certain pour le terme de patron, qu’il ne souhaite lui même pas voir employé à son égard. Si vous n’avez pas eu le loisir de l’entendre, dans le texte, cela donnait quelque chose comme : “le terme patron ça a toujours un petit côté négatif”. Si ce n’est pas tant la phrase en elle-même qui interpelle, ce serait plutôt le rejet d’une position, d’un statut au sein d’une organisation. La dénomination de “secrétaire général” deviendrait soudainement bien plus acceptable parce qu’elle ne placerait pas l’individu au sommet de la pyramide hiérarchique ?

Cette petite phrase et la vision du patronat qu’elle véhicule ne semblent plus choquer personne ; à croire qu’il serait devenu normal de considérer le patron comme un personnage intrinsèquement antipathique, voire dépourvu du sens du bien commun. Dans mon précédent billet, j’écrivais sur le moral des patrons français. Un sujet abordé par certains médias ces derniers temps ; une réalité chiffrée, mais qui ne parvient pas à inverser l’image – loin s’en faut – qui colle à la peau des entrepreneurs et autres patrons. Pire encore, montrer ce mal être a quelque chose d’aggravant : le patron ne peut faire preuve d’humanité envers les autres, pourquoi un jour devrait-on le plaindre ? Le profil négatif désormais bien ancré du chef d’entreprise se retrouve non seulement dans les médias, mais devient également un divertissement : au cours des derniers mois, pas moins de trois long métrages se sont faits la voix de cette mouvance anti patronat.

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Qui comme François Ruffin utilise les luttes sociales pour faire sa publicité

Le problème ici ne constitue évidemment pas l’existence de ces productions cinématographiques, mais selon moi l’hypocrisie de certains individus tels que François Ruffin qui, discours humaniste en bandoulière, s’octroient le droit de juger leurs semblables en arborant un engagement de façade ne servant finalement que leur besoin immédiat et leur ambition personnelle.

François Ruffin, rédacteur en chef de Fakir, journal satirique, et réalisateur du film Merci Patron !  en est pour moi l’exemple parfait : considéré comme l’un des fondateurs du mouvement Nuit Debout, ce dernier a bien profité du mouvement, quand lors des premières nuits, son film était projeté sur les places un peu partout en France… une vraie leçon de marketing, pour quelqu’un qui prétend exposer les pratiques et symboles du capitalisme. Pourtant, une fois le mouvement bien en place, et une fois François Ruffin éclipsé par d’autres personnalités plus charismatiques, le discours changeait bien radicalement. Tout à coup, “Dès le premier soir, [il avait] senti les limites” du mouvement, ou “il n’en avait jamais attendu trop”. Nuit debout ? “une masse de diplômés, peu de classes populaires”. Le mouvement dès ses premières nuits ne lui convenait pas : trop bobo –  trop comme lui – peut être ? François Ruffin aurait-il du mal à suivre ce qui n’est pas imaginé et dicté par François Ruffin ? Une attitude si irrévérencieuse, que certains militants y ont vu une sorte de frustration : « François Ruffin n’a pas réussi à prendre le contrôle du mouvement alors il fait un choix radical pour tout le monde : “Allez, ça suffit on arrête” », tandis que des personnalités dont il semblait partager les valeurs et le combat se détournaient de lui : “Son but premier, c’était d’accompagner la diffusion de son film et de faire parler de lui”,“il a usurpé la paternité et a profité du mouvement Nuit Debout à des fins marketing, voire politiques » avait déclaré à son sujet Raymond Macherel, qui travaillait à la distribution du film “Comme des lions”, documentaire sorti la même année qui retraçait deux années de conflit social auprès des salariés PSA d’Aulnay-sous-Bois.

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Et pourtant, malgré ce revirement brutal, François Ruffin était toujours consciencieusement invité sur les plateaux de télévision et de radio pour parler de Nuit Debout – ce dernier ne s’y attardait pas bien longtemps – pour pouvoir se recentrer allègrement sur le succès du film, ô combien en phase avec les aspirations sociales du moment. Une double casquette qui aurait de quoi en énerver plus d’un.

Taper sur les patrons : un exercice facile et qui peut rapporter gros

Merci Patron ! était donc le seul sujet digne d’être discuté. Ce film, dont la visée prétendue était de mettre en exergue une réalité humaine et sociale, aurait pu avoir le mérite d’être honnête. Que la petite bourgeoisie intellectuelle (François Ruffin), s’allie à la classe populaire, (ici la famille Klur, dont le père et la mère s’étaient retrouvés sans emploi du fait de la fermeture de leur usine dans le Nord près de Valenciennes), pour s’attaquer à l’oligarchie capitaliste, relevait presque du schéma conventionnel. En revanche, créer des raccourcis hasardeux afin de créer massivement l’idée que l’entreprise dont faisaient partie les Klur appartenait au groupe LVMH, c’est faire le choix de la fiction, et du sensationnalisme. “Une entreprise dans le giron de LVMH” dit lui-même François Ruffin. Changer de fournisseur ou licencier à tour de bras dans sa propre entreprise, c’est sûr, ça ne suscite pas la même empathie, le même émoi, alors on change un peu la réalité, on utilise des mots sujets à interprétation et les médias font le reste, les Klur deviennent des salariés d’LVMH. Tout est dans la suggestion, et ça marche !

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Après, s’il n’y avait eu que ça. Parce que sous la dictée de François Ruffin, les Klur deviennent aussi des maîtres chanteurs, qui sont amenés à lutter contre une situation jugée injuste au moyen d’un chantage – qui est il me semble encore un délit -, ce toujours sur un mode “fantaisiste et comique”. Les méthodes de Robin des bois ont bien changé. Toujours est-il que de la part de celui qui a déclaré à propos du directeur des ressources humaines d’Air France que “le minimum, c’était quand même de lui arracher sa chemise”, on pouvait s’attendre au pire.

Avec tout ça, le plus drôle, c’est peut être quand François Ruffin s’indigne qu’on lui demande ce qu’il compte faire de l’argent gagné avec le film. Parce que oui, un film qui a coûté “40 à 100 000 euros” dont 20 000 euros grâce à une campagne de crowdfunding, et qui fait plus de 500 000 entrées, ça a l’air plutôt rentable ! Du reste, on sourit un peu lorsque l’on voit la critique un peu capricieuse de François Ruffin sur Nuit Debout, parce qu’après tout, les spectateurs de Merci Patron ! en sont l’illustration parfaite : une audience bobo qui fait du bruit, face à une classe populaire qui demeure complètement hermétique à la facétie. Et un réalisateur qui se targue de changer le monde en tapant à tue tête sur les patrons, tout en jouant selon des règles plus que discutables. Dommage.